mercredi 5 mars 2008






Je vis en France, et dans le 20è arrondissement, depuis plus de vingt ans.
Je suis élue depuis les municipales de 2001.
Jusqu'aux élections européennes de 1999, j'ai été une étrangère comme les autres. Je travaillais, je payais les impôts, je m'impliquais dans la vie associative et politique. Mais à la question « pour qui allez-vous voter ? », je ne pouvais pas répondre : je n'avais pas le droit de vote.




Les choses ont changé en 2001. Pour la première fois les ressortissants de l'Union européenne pouvaient être éligibles et voter lors des élections municipales. Par un acte volontariste, j'ai été en position éligible.
Parce que « avoir le droit » est une chose, la concrétisation en est une autre. Il en va de même pour le droit des femmes à participer à la vie politique : la générosité de la gente masculine s'arrête là où commence réellement l'exercice du pouvoir ! Cela explique pourquoi je suis la seule élue de nationalité étrangère à Paris et qu'il y a seulement 17 autres élus enFrance, gauche et droite confondue.




Mais je ne suis pas une élue à part entière. Les élu-e-s ressortissant de l'Union européenne ne peuvent pas être adjoint au maire, par exemple.
Malgré ces difficultés, l'existence d'élus de nationalité étrangère dans les conseils municipaux a fait bouger la ligne rouge que veut que la citoyenneté soit réservée aux seuls nationaux. Cela veut dire aussi qu'une société est capable de faire bouger les limites qu'elle s'est imposées lorsqu'elle en a la volonté.




Nous, les élus de nationalité étrangère, sommes l'expression concrète de l'inégalité et de la discrimination faite aux milliers d'étrangers vivant en France depuis des années. Et cette inégalité, je la vis au quotidien, quand je reçois dans mon bureau les étrangers en France depuis des années ou nés en France sans en avoir la nationalité et qui n'ont pas le droit de peser par leur vote sur les politiques locales et nationales.




Et pourtant, par cette brèche nous, les élus de nationalité étrangère, nous représentons aussi le monde tel qu'il est, en mouvement. Comme pour bien d'autres questions, le cadre national n'est plus le cadre adéquat pour traiter de la citoyenneté.




Ainsi l'Europe de quoi est-elle faite ?




L'Europe n'est ni une construction abstraite, ni seulement une construction institutionnelle. 15 millions de personnes, qui n'ont pas la nationalité de l'un des pays membres, la forgent, la font exister au jour le jour.
Je regrette qu'aujourd'hui la citoyenneté européenne ne soit pas conçue
comme la reconnaissance des droits et des contributions de tous les individus, de toutes les « communautés » historiquement présentes sur le sol européen mais, pour le dire avec Etienne Balibar, comme l'isolement postcolonial des populations « autochtones » et des populations « allogènes », ce qui par contrecoup expose à tous les replis identitaires que ce soit du genre natsonaliste ou communautariste, dans ses versions religieuse, laïque ou républicaine.




La citoyenneté ne peut pas être tronquée. Elle doit être pleine, entière et s'exprimer lors de tous les scrutins.




Reconnaître le droit de vote et d'éligibilité à tous les résidents ce n'est pas seulement une histoire de justice et de droit (au-delà, si les étrangers avaient le droit de vote, on ne serait plus confrontés aux lois populistes, indignes qui font de l'étranger le bouc émissaire), mais c'est la manière même de construire l'alternative au libéralisme et au capitalisme globalisé.


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